L’inflation ralentit, mais ses effets sont encore bien présents. Entre crise économique, développement de l’IA et évolution de nos modes de consommation, il est primordial pour les entreprises SaaS d’ajuster leur stratégie marketing, en s’adaptant au marché actuel.
Inflection points like the one we are living through threaten to upend our business assumptions and strategies. The remedy is to identify key challenges instead of focusing on hoped-for results and ambitions.
Richard Rumelt
Quel est l’impact de l’inflation sur les entreprises SaaS ?
On pourrait croire que les SaaS sont plus épargnés par l’inflation, pourtant 36,84 % des logiciels B2B ont augmenté leurs prix entre 2022 et 20232. Cocorico, nous ne sommes pas en reste : 42,62 % des logiciels français étudiés ont augmenté leur prix contre seulement 24,39 % des logiciels américains.
Pourquoi les SaaS augmentent leur prix ?

Si les entreprises SaaS sont moins touchées par la hausse des prix de l’énergie et par celle des matières premières, pourquoi observe-t-on une hausse des abonnements, particulièrement sur les SaaS françaises ? Il existe plusieurs raisons.
Tout d’abord, la majorité des start-ups est aujourd’hui à la recherche de rentabilité, et non plus d’hypercroissance à l’aide de levées de fonds. Forcément, avec la crise, les investisseurs ont été plus prudents. Ainsi, les start-ups de la French Tech n’ont levé qu’1,4 milliard d’euros au premier trimestre de 2023, soit une chute de 68 % sur les douze derniers mois3. 2022 les avait protégées, 2023 les a rattrapées.
Toutefois, cet affaiblissement des investissements était prévisible. D’ailleurs, les start-ups avaient pris conscience de devoir viser la rentabilité. Dès septembre 2022, Jean Moreau, le fondateur de Phenix (la plateforme anti-gaspillage made in France) déclarait que le but n’était plus de faire des levées de fonds, mais de viser l’autofinancement4. L’étude de Tool Advisor nous apprend également que 42,86 % des logiciels qui ont levé des fonds ont augmenté leur prix, contre 36,84 % pour l’ensemble des logiciels.
Autre raison logique : les SaaS progressent, les fonctionnalités proposées aussi. Forcément, les améliorations se répercutent sur les prix.
Enfin, comme nous le rappelle Gatien Guemas, le fondateur de Tool Advisor, il y a un effet d’aubaine. Puisque près de la moitié des logiciels augmente leur prix, c’est le moment d’en profiter. Si vous êtes le seul à augmenter vos tarifs, vos utilisateurs risquent d’aller voir ailleurs. Si tout le monde augmente ses tarifs, il reste.
Ça vaut pour le BtoB comme pour le BtoC. Spotify a pu augmenter ses tarifs pour la première fois cette année, franchissant le palier psychologique des 10 €. Les risques de perte étaient minimes puisque ses concurrents étaient déjà passés au fameux prix de 10.99 € pour les forfaits individuels. La différence, c’est que Deezer et Apple Music justifiaient cette hausse par une meilleure rémunération des artistes, en plus des innovations déjà présentes, comme le Lossless pour Apple. Spotify parle simplement de besoin d’innovation.
C’est un élément à prendre en compte : il est plus facile d’accepter une augmentation de prix si elle donne une meilleure image de lui au consommateur. C’est le principe de la mode éthique : on accepte de payer plus parce qu’on sait que toute la chaîne de fabrication est mieux rémunérée. Si Spotify reste aujourd’hui en tête des services de streaming musicaux préférés des Français, il perd un avantage concurrentiel, le prix.
Quelle stratégie choisir pour continuer sa croissance dans un contexte d’inflation ?
1 – La rentabilité avant l’hypercroissance
Pendant des années, les start-ups ont été à la recherche d’hypercroissance. Bien qu’il n’existe pas de définition exacte, on parle d’hypercroissance quand une entreprise connaît une hausse fulgurante de son chiffre d’affaires, pendant au moins trois années consécutives (entre 20 et 40 % selon les différentes sources). Cette hypercroissance vient avec son lot de challenges.
Tout est accéléré, le meilleur comme le pire. On ne peut rien laisser traîner, parce que le plus petit problème peut rapidement prendre des proportions démesurées.
Matthieu Beucher, dirigeant de Klaxoon
Depuis un peu plus d’un an, sur fond d’inflation, la tendance s’inverse. Les start-ups sont encouragées à chercher la rentabilité. C’est une bonne nouvelle : on estime que 38 % des start-ups échouent parce qu’elles sont à court de fonds, sans arriver à en lever de nouveaux5. D’après le Baromètre FD x EY 2023, 30 % des start-ups sont déjà rentables et 55 % envisagent de l’être d’ici à trois ans6. Une autre bonne nouvelle dans cette étude : un tiers des start-ups ont mesuré leur impact social et environnemental.
Et puis, souvenons-nous que la levée de fonds n’est pas la seule possibilité de financement. Il existe des alternatives, comme la rentabilité, mais aussi le prêt bancaire.
Alors, comment atteindre cette fameuse rentabilité ? Commencez déjà par définir la bonne North Star Metric. C’est la métrique qui représente le mieux la valeur délivrée à vos clients. Et donc celle sur laquelle vous devez miser pour vous assurer une croissance sur le long-terme. Mais, il y a d’autres KPI à suivre.
2 – Suivre les bonnes métriques
En temps de crise, les dirigeants ont d’autant plus la responsabilité de suivre les bons KPI pour s’assurer d’être rentable.

Votre North Star Metric vous assure d’emmener toutes vos équipes dans la bonne direction. Le Coût d’Acquisition Client (ou CAC) reflète le succès de votre stratégie marketing. Une fois que vous connaissez ce coût, vous pouvez travailler à le réduire. Attention, les entreprises ne doivent pas seulement acquérir de nouveaux clients, elle doit aussi les fidéliser. Sinon, les CAC ne sont jamais amortis. La LifeTime Value (ou LTV), c’est-à-dire la “valeur de vie d’un client” se calcule avec la valeur de chaque transaction, la fréquence annuelle de ses transactions et le nombre d’années probable pendant lesquelles le client sera client. Ça va vous éclairer sur la fidélisation de vos clients.
D’ailleurs, c’est aussi essentiel de connaître votre Time to Value, indispensable pour diminuer votre taux d’attrition. Votre Monthly Recurrent Revenue (ou MRR) vous permet d’établir des prévisions de chiffre d’affaires pour les mois à venir. Évidemment, toutes ces données ne sont rien sans la marge bénéficiaire nette : si vous faites 1 million de CA mensuel, mais que vous avez 1,2 million de charges, vous n’êtes pas rentable.
Quelques bonnes pratiques sur les KPI :
- Je ne mesure que les KPI qui me sont utiles/vont m’aider à prendre des décisions.
- Je me demande toujours quel est l’objectif à atteindre pour ce KPI ?
- J’anticipe qui a besoin du KPI dans l’entreprise et pour quoi faire.
3 – Adopter une stratégie cohérente
The greatest danger in times of turbulence, is not the turbulence, it’s acting with yesterday’s logic.
Peter Drucker
Nous vivons une crise que peu de dirigeants ont connue sur fond d’inflation, de guerres, de crise énergétique et de réchauffement climatique. Les dirigeants ont pour nécessité d’adopter une stratégie cohérente s’ils veulent voir leur SaaS prospérer. Ça semble d’une logique trop simpliste, et pourtant, peu d’entreprises arrivent à mettre en place une stratégie judicieuse, qui se concentre sur l’essentiel. C’est d’ailleurs l’une de mes tâches récurrentes quand j’accompagne les dirigeants comme Sparring Partner : simplifier.
Alors, quelles sont les caractéristiques d’une bonne stratégie ? Elle simplifie la complexité. Elle est simple à comprendre, simple à exécuter. Une vraie stratégie ne cache aucune vérité, ne dissimule aucune menace, ne nie aucune réalité. Elle est tranchée : la stratégie fait des choix éclairés, en assumant leurs conséquences. Elle a un effet de levier sur les forces, au lieu de s’essouffler à corriger les faiblesses (mais elle connaît ses faiblesses puisqu’elle ne cache aucune vérité). Une vraie stratégie fait aussi des paris asymétriques, où le potentiel de réussite dépasse de loin le coût si le pari est gagné.
Enfin, la stratégie est le document qui projette le plus l’avenir, même si on ne peut pas le prédire. Elle doit surtout s’appuyer sur la vision, le changement que l’entreprise cherche à impacter dans le monde.
Attention à l’effet Einstellung. Ce biais cognitif nous pousse à privilégier une solution maîtrisée et connue, même si elle moins efficace, plutôt que de nous tourner vers des solutions plus pertinentes, simples et appropriées. Vous avez forcément déjà entendu un professionnel vous dire : “On a toujours fait comme ça” alors que vous lui apportez une solution qui lui donne la possibilité de gagner du temps, de l’argent ou de simplifier ces process (ce qui est souvent le cas des SaaS).
Comment combattre ce biais cognitif ? Pensez à Emanuel Lasker, Grand Maître d’échecs : « Quand vous voyez un bon coup – attendez – et cherchez-en un meilleur. » Autrement dit, ne vous contentez pas de la première idée.
La cohérence d’une stratégie naît au croisement de la recherche des défis les plus importants auxquels l’entreprise est confrontée et de l’élaboration d’une stratégie pour les relever. Pour ça, les dirigeants ont besoin d’expérience, de jugement et de perspicacité (et souvent d’un coup de main).
4 – Savoir se pricer
Forcément, impossible d’être rentable si vous n’appliquez pas le bon prix pour vos produits. On ne le répétera jamais assez : le prix fait partie intégrante de vos offres. D’ailleurs, il a été démontré que modifier le prix est deux fois plus efficace qu’améliorer la rétention (dans le même ordre de grandeur), et quatre fois plus qu’améliorer l’acquisition7.
La première question à se poser est celle de la valeur de votre produit pour vos utilisateurs ? Pour la connaître, allez interviewer vos clients. Analysez aussi vos données d’usage :
- les fonctionnalités préférées ;
- celles utilisées ensemble ;
- celles moins utilisées.
Il est important de déterminer s’il vaut mieux :
- un prix unique ;
- un prix sur l’usage ;
- un prix par utilisateur ;
- un prix sur le stockage ;
- un prix sur l’achat de crédits ;
- un prix sur les fonctionnalités ;
- un mélange de toutes ces options.
Pour en savoir plus : les sept modèles de construction du pricing en SaaS.
5 – Miser sur la rétention client
Autre vérité que je ne me lasserai jamais de rappeler : il coûte moins cher de fidéliser un client que de l’acquérir. C’est encore plus vrai en temps d’inflation. Assurez-vous donc de diminuer votre taux d’attrition et de faire revenir vos clients.
Grâce aux recherches effectuées sur le moteur de recherche, Google a pu remarquer ces derniers mois une baisse significative de la confiance des consommateurs et consommatrices, tandis qu’il y a une hausse des comportements de recherche sur la valeur des produits8. Bref, il est encore plus important de soigner votre relation client.
Il y a quelques bases, qui sont malheureusement souvent négligées :
- délivrer ce que vous avez promis ;
- continuer de délivrer ce que vous avez promis ;
- connaître le job-to-be-done de vos clients sur le bout des doigts.
Le n°2 vous fait tiquer ? Avec la crise, nous avons pu assister à un phénomène de “réduflation” ou de “Shrinkflation”. En résumé, vous réduisez le produit, sans réduire son prix. Les consommateurs de Mc Donald’s n’ont pas apprécié9. Le chef de cuisine Sylvain Sendra l’a bien compris et déclare : « À mon restaurant, le Fleur de Pavé, nous tentons d’apporter des changements minimes qui n’affectent pas l’expérience de notre clientèle. » Ainsi, ils préfèrent miser sur des produits locaux, éviter les produits de luxe et ralentir sur le merchandising que d’endommager l’expérience client. Une bonne source d’inspiration pour les SaaS.
À côté de ça, Google a enregistré une hausse de 45 % de l’intérêt pour l’expression “programme de fidélité” (“loyalty program”). Les utilisateurs sont à la recherche de bons plans, mais ils veulent aussi être récompensés pour leur loyauté. À noter pour augmenter votre taux de rétention
Chaque crise est source d’opportunité. Gardez en tête qu’Airbnb a réalisé sa première année rentable en 2022, quand Google Cloud a été pour la première fois rentable au premier trimestre 2023. Les SaaS peuvent tirer l’épingle de leur jeu : 61 % des personnes interrogées pour une étude Statista sur les comportements des acheteurs BtoB déclarent que l’automatisation est une action efficace pour faire face à l’inflation10. Par exemple, l’obligation de la facturation électronique pour les entreprises françaises assujetties à la TVA va arriver progressivement entre 2024 et 2026. Une aubaine pour les logiciels de facturation.
Crédits
Graphiques : création Canva
Image Midjourney : Prompt/middle aged woman in a suit paying cash in a luxurious office, view from behind, analog photography –ar 3:2
Sources :
1 : Le Baromètre Bpifrance Le Lab et Rexecode, septembre 2023
2 : Étude Tool Advisor
3 : LaTribune
4 : Les Echos
5 : CB Insight
6 : Baromètre FD x EY 2023
7 : The Anatomy of SaaS Pricing Strategy, Price Intelligently
8 : Think with Google
9 : France TV Info
10 : Statista